Le management nouveau est-il arrivé ?
Quel nouveau management ?
On parle de plus en plus de ce nouveau management qui donne l’air de nous annoncer les grands jours du grand soir. L’entrepris libérée ? Quelle libération ? Est ce que j’ai une tête de casque bleu ? Personne ne libère personne. L’entreprise n’est pas une forteresse ou de pauvres esclaves sont victimes d’un despote. Elle est l’image des rapports sociaux. Des rapports où il y a une alliance objective entre le maitre et l’esclave entre le despote et le soumis entre le patron et les salariés.
Pas si nouveau que cela !
On aurait tort de croire que ce management est « nouveau » dans le sens de quelque chose qui n’aurait jamais existé avant.
C’est un rappel ! C’est le réel qui se rappelle à nous.
Un peu comme un adulte qui après avoir progressé intérieurement en se donnant des règles et une discipline se laisse aller à la facilité de ses bénéfices et de ses fortunes et ne s’aperçoit pas que se déstructure sa rigueur et sa discipline comme s’atrophie un muscle peu utilisé. Il recommence à accumuler des scories et des biais dans sa façon d’être au monde. Et le décalage grandit jusqu’au moment où la rupture est proche.
Pendant des siècles, pris dans une nature où tout a un coût très élevé et ou la survie est incertaine, les hommes ont construit à force de rigueur et de discipline une société qui, bien qu’injuste et cruelle comme la nature dont elle est le produit, s’organisait autour de règles cohérentes avec un projet commun. Cette nature cruelle et injuste qui a obligé à inventer la solidarité et la spiritualité. Cette spiritualité et cette solidarité qui a conduit à une société de bâtisseurs et à la société préindustrielle.
Ce travail de construction a généré la société industrielle et son cortège de technologies qui nous a permis de croire qu’on pouvait dépasser la nature et la dompter.
Pris par la facilité de l’industrialisation et de la technique qui leur semblait être une martingale toujours gagnante, les sociétés humaines on cru qu’il était possible d’abandonner la discipline et qu’enfin tout ce qu’on obtient pourrait ne plus se payer très cher. On a cru collectivement que rigueur et discipline ne sont plus nécessaire pour avancer. Par leur coté contrôlant les entreprises ressemblent à la société à laquelle elle appartient: un cout écologique et humain très important pour un bénéfice très relatif. Mais un coût intenable quand on a épuisé les ressources.
Face au décalage grandissant, dans l’aveuglement de la facilité, le réel s’est rappelé au bon souvenir des sociétés humaines. La souffrance due au manque a laissé place à la souffrance du « trop avoir ». La nécessité de la solidarité s’est muée en une compétition égocentrée qui s’est déclinée sous diverses formes, comme par exemple le colonialisme ou diverses fractures sociales.
De la faim et du manque on est passé collectivement au cholestérol : toutes nos artères bouchées tous les matin et tous les soirs dans nos villes n’en sont qu’une manifestation dont le coût nous effraye sans que nous sachions comment y remédier. La dette s’accumule et le retour à une perception d’un danger imminent nous invite à réinventer discipline et spiritualité. Le réel se rappelle à nous.
Mais si on sait traiter avec le manque, parce qu’on le subit sans pouvoir le refuser, il est autrement plus difficile de se refuser quelque chose qu’on peut avoir ou que l’on a. Pourquoi j’abandonnerai ce que j’ai, pour avoir moins ? Comment décider de moins prendre quand on a tout sous la main ? Encore une heure monsieur le bourreau. Quel phénomène psychologique me fait continuer à acheter et boire une eau en bouteille alors que je connais le risque des phtalates. C’est probablement une question de perception de l’importance ou de l’urgence du problème. Chaque seconde je pèse le pour et le contre pour choisir la solution la plus économique. Le manque de discipline intérieure et la flemme, me font préférer l’urgence à l’importance. De la même manière un patron conscient de l’importance de laisser un employé construire son autonomie préfèrera remettre à demain la question pour des raisons d’urgence.
Être adulte c’est sans doute savoir se dire non à soi, quand être enfant c’est dépendre du Non de l’adulte pour ne pas se mettre en danger. Comment apprendre à se dire non collectivement ?
Les problèmes de l’entreprise ne sont pas le simple fait d’un homme qui en exploite d’autres. Chacun est pris dans la même peur de perdre ou d’échouer, le même désir de gagner et d’avoir. Chacun travaille pour lui. La peur de l’un fait écho à la peur de l’autre.
Chacun est victime du même manque de discipline et de spiritualité.
Les expériences comme Favi sont les précurseurs d’un mouvement de retour au réel d’une société qui paye ses dettes écologiques.
Lorsqu’on regarde ce qui réunit ces entreprises, adeptes d’une certaine efficacité/productivité dans un certain bien-être, on peut constater que quelque chose de la rigueur intérieure organise la relation des individus au collectif. Cette rigueur incarnée par le chef d’entreprise, réinstalle une discipline des relations dans un esprit collectif. Cette dimension intérieure du responsable qui ne se sent plus légitime pour posséder les autres et leur production, laisse la place à l’autre pour exister. Mais en même temps on ne cherche plus à faire l’économie des relations. Dans une entreprise industrielle « classique »on élimine les coûts non-mesurable ou non-contrôlables. Comme par exemple les relations ou les espaces de ressourcement et d’initiative, de bien être. Si on ne peut pas les éliminer on cherche à les contrôler. Mais c’est proche de notre rapport aux pesticides dans l’agriculture. On élimine ce qui se semble pas être utile à la rentabilité immédiate, sans vérifier réellement si c’est inutile. Ainsi : on tue la biodiversité qui ressource la terre. Un jour elle devient stérile. Une chose essentielle participe à la reproductibilité de l’individu : le sentiment d’exister et de servir à quelque cbose : mais le choix des entreprises de déposséder l’acteur de la propriété de son acte est une source de souffrance importante.
L’organisation industrielle assèche la reproductibilité du vivant dans le travail en privant l’acteur de la propriété de son activité.
Redonner à l’acteur la propriété de son activité c’est lui permettre d’exister dans ce qu’il fait.
Lâcher le contrôle pour le chef d’entreprise, n’est pas une posture pour « faire joli » et spirituel, c’est avant tout la condition pour que l’entreprise se ressource.
Mais ce lâcher-prise suppose une perception plus globale de la question du travail et de la production. Mais aussi et surtout une confiance en lui de la part du dirigeant et en l’autre, une « foi » dans le sens non religieux de « confiance inconditionnelle »: d’ou la dimension spirituelle.
On voit bien que dans les entreprises dites libérées, le responsable incarne puissamment cette dimension intérieure, cette rigueur. Il est en quelque sorte le garant du cadre de valeur de l’entreprise.
Ce n’est pas l’entreprise qui est à libérer, c’est l’entreprendre de l’individu. Cet entreprendre ne peut être libéré que par l’existence d’une structure organisatrice. De la même manière que l’individu ne peut retrouver sa puissance que lorsqu’une dimension éthique intérieure l’organise.